Sport / Dossier : Un roi s’en est allé
L’ancien attaquant du Brésil s’est éteint à l’âge de 82 ans. Considéré comme la première superstar du football, il reste pour beaucoup le meilleur joueur de tous les temps.
« Tu étais un génie qui enchantait le monde. Un magicien balle au pied. Une véritable légende ». Ce sont ces mots que Pelé a écrits dans une lettre d’adieu publique à Diego Maradona après le décès de ce dernier fin novembre 2020. S’il était encore vivant, Maradona s’exprimerait sans doute de la même manière à propos de son ancien rival et ami Pelé, qui vient de succomber à un cancer.
Les deux footballeurs ont marqué le football du siècle dernier par leur style – l’Argentin Maradona en tant que meneur de jeu, le Brésilien Pelé en tant qu’attaquant. Tous deux étaient des héros populaires dans leurs pays respectifs et tous deux ont enchanté les fans de football du monde entier par leur technique et leurs buts. Pelé, qui avait 20 ans de plus que Maradona, a toutefois été la première superstar du football. À ce jour, le Brésilien est le seul joueur à avoir été trois fois champion du monde : il a non seulement été élu « joueur du XXè siècle » par la FIFA, mais également « athlète du XXe siècle » par le CIO (Comité International Olympique).
« Pelé est immortel, tandis qu’Edson n’a pas peur de vieillir ni de mourir », avait déclaré un jour Pélé dans une interview, conscient de la différence entre Pelé, l’icône du football, et Edson Arantes do Nascimento, l’homme.
Ce nom lui a été donné le 23 octobre 1940 en hommage à l’inventeur américain Thomas Alva Edison. L’origine de son surnom n’est en revanche pas claire. La version la plus courante est que, lorsqu’il était petit, il adorait le gardien de but de l’équipe de son père, nommé « Bilé », et déclarait qu’il voulait lui aussi jouer comme « Pélé ». C’est ainsi que s’est développé le nom de « Pelé », qui l’a d’abord agacé.
Il ne faudra pas attendre longtemps pour que le Brésil, puis le monde entier, s’intéressent au jeune garçon. En 1956, à seulement 15 ans, Pelé obtient un contrat avec le FC Santos et marque son premier but lors de ses débuts en première division. Sa convocation en équipe nationale ne se fait pas attendre : à 16 ans et 257 jours, il fait ses débuts contre l’Argentine (1-2) et marque le seul but de la Seleção.
L’année suivante, Pelé est en convoqué en équipe nationale pour participer à la Coupe du monde en Suède – tournoi qu’il commence d’abord sur le banc. Mais très vite, le gamin se rend indispensable et inscrit six buts en quatre matchs, contribuant ainsi largement au premier sacre du Brésil en Coupe du monde. Lors de la finale contre le pays organisateur, Pelé a déchaîné les foules et s’est fait connaître au monde entier avec ses acrobaties et son doublé, inscrit à l’âge de 17 ans, 8 mois et 6 jours seulement. Un véritable record de précocité.
Dans son pays natal, Pelé était déjà vénéré comme aucun autre footballeur. Alors qu’il n’avait pas encore 20 ans, le gouvernement brésilien l’a déclaré « trésor national » et a interdit sa vente à l’étranger. Lors de ses voyages autour du globe, le jeune Pelé était accueilli comme un président de la République. S’il a connu beaucoup de hauts, le Brésilien a aussi connu des bas, comme lors de la Coupe du monde 1962, qui s’est jouée au Chili.
Si la Seleção est parvenue à défendre son titre avec succès, Pelé a joué un rôle minime dans cette victoire, en raison d’une blessure dès le deuxième match de la phase de poules. Quatre ans plus tard, en Angleterre, le tenant du titre est éliminé dès le premier tour, à la surprise générale. Mais en 1970, au Mexique, Pelé mène son équipe vers un troisième titre mondial.
Un an plus tard, Pelé dispute son 92è et dernier match international : dans le mythique stade Maracana, devant 180 000 fans, il fait ses adieux à l’équipe nationale, pour laquelle il avait inscrit 77 buts. Pour beaucoup, son départ de l’équipe nationale semblait prématuré : Pelé n’avait alors que 30 ans.
La raison de sa retraite internationale fait encore l’objet de spéculations aujourd’hui : était-ce en raison d’une violente dispute avec le président de la fédération brésilienne de football de l’époque, Joao Havelange ? Pelé lui-même a évoqué plus tard un argument politique : il n’aurait pas voulu soutenir le gouvernement militaire de l’époque. Au fond, personne ne sait vraiment s’il a réellement été un opposant à la dictature, lui qui a été sous le coup d’une enquête de la part des militaires, qui le soupçonnaient d’avoir des liens avec des leaders gauchistes.
En revanche, Pelé a poursuivi sa carrière dans le championnat brésilien. Il est malheureusement impossible de reconstituer avec précision le nombre de matchs qu’il a disputés et le nombre de buts qu’il a réellement marqués pour le FC Santos, le club qui lui sera probablement toujours associé. Officiellement, il s’agit de 1.088 buts en 1.114 matches. Personne ne sait non plus quel a été le millième but de sa carrière. Pendant longtemps, tout le monde pensait que c’était celui qu’il avait inscrit le 19 novembre 1969, sur pénalty lors d’un match contre Vasco da Gama. Ce jour-là, tout le monde était heureux, même les cloches sonnaient. Or, des recherches ultérieures ont révélé que ce pénalty était très probablement…son 1.002è but.
En 1974, Pelé met fin à sa carrière, avant de revenir moins d’un an plus tard, à la surprise générale, et en s’engageant au Cosmos New York, dans la North American Soccer League, peu connue à l’époque. La raison : un homme, qui se disait son ami, avait détourné toute sa fortune. En trois ans au Cosmos, Pelé a gagné 4,5 millions de dollars, ce qui était jusqu’alors le montant le plus élevé d’un contrat de football. « Pelé est le meilleur joueur de tous les temps », dira plus tard son coéquipier allemand de l’époque, Franz Beckenbauer. « Il a dominé le football pendant plus de vingt ans. Tous les autres, que ce soit Maradona, Cruyff ou Platini, viennent après lui. Il n’y a personne de comparable à Pelé ». En 1977, Pelé fait définitivement ses adieux au football.
Durant ses années à New York, Pelé a posé les jalons d’une carrière fructueuse en tant qu’homme d’affaires. Il a non seulement noué des contacts importants, mais aussi fondé une entreprise de marketing sportif. Considéré comme religieux et modeste, Pelé a acheté une station de radio (Radio Club de Santos) ainsi qu’une société de production cinématographique. S’il a toujours caressé l’idée d’une fonction politique et a même annoncé un jour vouloir fonder un parti de gauche, ce n’est qu’en 1995 que les choses sérieuses commencent, lorsqu’il devient le premier Noir à occuper un poste ministériel. Cette année-là, Pelé a été nommé ministre extraordinaire des Sports. Pendant quatre ans, il a tenté de lutter contre la corruption dans le football brésilien, mais a surtout eu du succès en promouvant le sport de masse ainsi que des projets pour les enfants et les jeunes.
Pelé, qui s’est marié deux fois et a eu sept enfants, a également été ambassadeur du sport pour son pays, pour les Nations unies et pour l’UNICEF. « Tous les enfants du monde veulent être comme Pelé au football – c’est pourquoi je porte la responsabilité de leur montrer comment devenir un bon footballeur, mais aussi comment devenir un homme bon », a-t-il déclaré un jour.
Ces dernières années, Pelé a connu des problèmes de santé récurrents. Une opération de la hanche mal cicatrisée en 2012 a entraîné d’autres handicaps. Il a également fallu lui retirer un calcul rénal. En 2021, une tumeur a été enlevée de son côlon. Depuis, Pelé n’est pratiquement plus apparu en public. « Imaginez : c’était le roi, une personne impressionnante, et aujourd’hui il ne peut plus marcher normalement », a déclaré Edson, le fils de Pelé, en février 2020. « C’est pourquoi il est beaucoup resté en retrait. Il a honte ». Edson a en outre annoncé que son père souffrait de dépression. Pelé a toutefois nié avec véhémence cette information peu après.
« Un jour, j’espère que nous jouerons ensemble au football dans le ciel », avait annoncé Pelé sur Twitter le jour de la mort de Maradona. Les dribbleurs jouent désormais ensemble, dans d’autres sphères. Au fond, il en a toujours été ainsi.
Paul ANDRE