Coronavirus : Interview sur la pandémie en Afrique et ses conséquences (Partie 7, suite et fin).
Avec Le Professeur Mohamed CHTATOU* Professeur universitaire et analyste politique Rabat, MAROC Propos recueillis par Ornella sukkar**
Comment est-ce que l’Union africaine pourra affronter tous ces défis majeurs à la fois ?
L’impact complet du coronavirus sur l’Afrique ne s’est pas encore fait sentir. Néanmoins, il est clair que les États africains devront prendre des décisions difficiles sur la manière de faire face à la pandémie et à ses conséquences politiques et sécuritaires.
L’Afrique dispose de certains outils importants qu’elle peut déployer pour faire face à cette combinaison unique de défis en matière de santé publique et de sécurité. Certaines parties de l’Afrique peuvent tirer des enseignements de la gestion d’autres maladies, comme l’épidémie d’Ebola. En outre, avec une population dont l’âge moyen est de 19,7 ans, la démographie peut jouer en faveur du continent. Néanmoins, la capacité du continent à surmonter la crise ne doit pas être considérée comme acquise. En outre, la pandémie ne doit pas être utilisée comme une occasion pour les dirigeants africains de s’accrocher à plus de pouvoir en exploitant les catastrophes nationales à des fins politiques.
Partout dans le monde, les efforts pour soutenir les États africains se sont multipliés, mais avec peu de coordination générale. Le G20 s’est engagé à créer un fonds de relance mondial de 5 000 milliards de dollars ; le président français a fait pression pour une suspension de la dette mais n’a réussi qu’à obtenir un gel du paiement de la dette ; la Banque africaine de développement (BAD) a créé un fonds de 10 milliards de dollars ; la Banque mondiale a fait un don de 8 milliards de dollars à l’Éthiopie et le FMI a approuvé un paiement de 147 millions de dollars au Gabon. Le Nigeria, deuxième économie d’Afrique, va recevoir 3,4 milliards de dollars du FMI, 2,5 milliards de la Banque mondiale et 1 milliard de la Banque africaine de développement pour combattre l’impact du coronavirus. Parallèlement, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, et la Fondation Jack Ma ont coordonné la mobilisation et la distribution d’une troisième série de matériel sanitaire d’urgence aux 54 États africains.
Malgré ces efforts, la coordination mondiale fait défaut. À ce jour, le Conseil de sécurité des Nations unies ne parvient pas à se mettre d’accord sur des mesures de coopération pour lutter contre la pandémie conformément à l’article 39 de la Charte des Nations unies. Les organisations africaines ont également été lentes à se coordonner. Le président de l’Union africaine (UA), le président Cyril Ramaphosa, a organisé des entretiens collectifs avec l’Éthiopie, le Rwanda, le Sénégal, l’Égypte, le Zimbabwe, la RDC et le Kenya, ainsi qu’avec le directeur général de l’UA, le directeur général de l’OMS et les centres de contrôle et de prévention des maladies de l’UA afin de coordonner et d’atténuer l’impact économique du coronavirus. Il n’existe cependant pas de stratégie ou d’approche multidimensionnelle sur le continent pour lutter contre la pandémie. Et il n’y a guère de réflexion sur les conséquences involontaires de la lutte contre la pandémie, telles que l’impact négatif sur la gouvernance et la sécurité, ainsi que sur les secteurs sociaux et sanitaires.
Au cours de la prochaine décennie, on estime que l’Afrique aura besoin d’une croissance économique annuelle de 8 % pour répondre à ses besoins de développement. La pandémie va considérablement freiner la croissance économique et, pour cette raison, on estime qu’un plan de relance d’urgence de 100 à 150 milliards de dollars est nécessaire pour le continent. Mais ce montant pourrait atteindre 200 milliards de dollars.
Les petites et moyennes entreprises (PME) d’Afrique sont particulièrement vulnérables au choc économique de la pandémie, et jusqu’à 90 % du secteur privé du continent est constitué de PME. Ces PME sont souvent dirigées par des femmes et emploient un nombre important de travailleurs occasionnels et de petits commerçants. La quasi-disparition du secteur du tourisme pendant la crise sanitaire est un autre coup dur : le tourisme en Afrique de l’Est représente environ 8,8 % du PIB, et dans des pays tels que l’Éthiopie, le Kenya et la Tanzanie, le tourisme emploie des millions de personnes, ce qui a amené le East African Business Council à avertir qu’au moins 5,4 milliards de dollars de recettes seront perdus en 2020.
La pandémie survient à un moment où de nombreux pays africains sont déjà confrontés à des chocs économiques. Les pays d’Afrique de l’Est sont confrontés à une invasion de criquets qui menace leur sécurité alimentaire, tandis que certaines parties de l’Afrique de l’Ouest connaissent des sécheresses. Pendant ce temps, les pays exportateurs de pétrole sont fortement touchés par l’effondrement mondial des prix du pétrole.
Peu après que le premier cas de Covid-19 ait été signalé, l’Union africaine a convoqué une réunion des ministres de la santé le 22 février pour élaborer une stratégie à l’échelle du continent et mettre en place un groupe de travail. Connu sous le nom d’Africa Coronavirus Task Force (AFCOR), il est composé de six équipes techniques travaillant en étroite collaboration avec les États membres, l’OMS et le CDC Afrique (Center for Disease Control). L’institution technique de l’UA, qui a été créée pour soutenir les initiatives de santé publique, est en première ligne dans cette course contre la montre. Début février, seuls le Sénégal et l’Afrique du Sud étaient capables de procéder au dépistage du virus. Le CDC africain a aidé les 55 États membres à renforcer leurs capacités au niveau national, en dispensant des formations sur des priorités essentielles telles que la surveillance des maladies au point d’entrée, la surveillance basée sur les événements (ESB) dans les établissements de santé communautaires et les diagnostics de laboratoire.
Aujourd’hui, grâce au partenariat entre les CDC et l’OMS, 43 pays sont en mesure de procéder à un dépistage, preuve qu’une stratégie coordonnée porte ses fruits. Le CDC Afrique a ciblé trois pays à haut risque pour la propagation du virus : le Nigeria, le Cameroun et le Kenya. L’institution a jusqu’à présent estimé que 850 000 dollars sont nécessaires pour renforcer la capacité de réaction au Covid-19 dans ces pays. Bien que modeste, cette somme permettra non seulement de former et d’améliorer les capacités de diagnostic des laboratoires, mais aussi d’aider les pays cibles à acquérir à la fois des outils statistiques et des techniques efficaces de surveillance de la maladie.
Bien que l’Afrique ne dispose pas des ressources des pays développés, eux-mêmes dépassés par l’ampleur de la crise, son salut réside dans sa capacité à prévenir et à isoler les foyers de contamination. Les pays africains doivent impérativement donc travailler ensemble pour trouver des solutions en mobilisant leurs ressources internes.
Toutes les institutions financières panafricaines sont appelées à soutenir cet effort de guerre. La Banque ouest-africaine de développement (BOAD) a déjà débloqué 120 milliards de francs CFA sous forme de prêts de 15 milliards de francs CFA) à chacun de ses huit États membres. La banque s’est engagée à geler une partie de la dette de ces pays, estimée à 76,6 milliards de francs CFA. La Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) a réservé 100 millions de dollars pour soutenir les pays d’Afrique subsaharienne dans leurs efforts pour prévenir et contenir la propagation de la pandémie. La Banque africaine d’import-export (Afreximbank) a annoncé la création d’un mécanisme d’atténuation de l’impact commercial de la pandémie, doté de 3 milliards de dollars, pour aider les banques centrales des pays africains à faire face aux conséquences économiques, y compris les défaillances commerciales, de la pandémie de Covid-19. Ce fonds servira également à soutenir et à stabiliser les ressources en devises des banques centrales des pays membres, leur permettant de soutenir les importations essentielles dans des conditions d’urgence.
Tout au long de cette crise sanitaire, l’Afrique doit continuer à garder à l’esprit son objectif de l’Agenda 2063 : faire taire les armes. Et parce que, parfois, rechercher la paix signifie préparer la guerre, une réunion conjointe UA-CEDEAO-G5 Sahel sur le déploiement de 3 000 soldats africains au Sahel s’est tenue le 16 mars à Niamey, au Niger. L’UA va déployer 3 000 soldats supplémentaires pour renforcer les actions des pays du G5 Sahel. Une fois de plus, l’armée tchadienne a été seule à faire face aux attaques meurtrières et presque simultanées de Boko Haram contre ses positions à Boma dans le lac Tchad et d’un convoi de l’armée nigérienne à Konduga dans l’État de Borno.
Espérons que l’appel urgent lancé à l’Afrique et à la communauté internationale par le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, en faveur d’une solidarité opérationnelle dans la lutte contre le terrorisme sera entendu.
Cette pandémie mondiale doit servir à rappeler à l’Afrique l’essence même de ses institutions et la raison d’être de l’AUDA-NEPAD : la mise en commun de ses forces pour surmonter l’adversité, pour sa survie. Le citoyen africain a un sens de la solidarité familiale et communautaire établi de longue date. En prenant soin et en soutenant ses parents, ses familles, ses voisins, ses alliés, il fera comme ses ancêtres, protéger l’humanité. En ces temps troublés, l’Afrique doit donc donner l’exemple et continuer à garder cette solidarité, son héritage le plus noble, vivant en ses enfants. Amen.
References : Mohamed Chtatou : professeur a l’universite du Ribat specialisee au monde Arabe et islamique et analyst dans les affaire du moyen orient. Ornella Sukkar : Journalist Libanaise specialisee dand le monde arabe et les affaires internationales du moyen Orient et les etudes orientales et directeur du courier international Future concepts\www.Futureconcepts-lb.com
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