Coronavirus : Interview sur la pandémie en Afrique et ses conséquences (Partie 5).
Avec Le Professeur Mohamed CHTATOU* Professeur universitaire et analyste politique Rabat, MAROC Propos recueillis par Ornella sukkar**
Selon vous, comment les relations extérieures de l’Afrique seront-elles affectées, en particulier à la lumière des politiques de sécurité et d’isolationnisme ?
Le partenariat avec l’Afrique a été clairement mis en évidence par les institutions de l’UE comme l’une des principales priorités pour les années à venir, mais la pandémie COVID-19 pourrait menacer une coopération plus étroite. Tel était le thème d’un webinaire organisé le 29 avril 2020 par le Comité économique et social européen (CESE), où les participants ont convenu que la consolidation des chaînes d’approvisionnement et un accord visant à alléger le fardeau de la dette extérieure des pays africains étaient des questions essentielles.
Avant l’épidémie de COVID-19, l’Afrique devait avoir le taux de croissance le plus élevé du monde et les institutions européennes avaient exprimé leur intention d’entamer une nouvelle relation avec les pays africains en tant que partenaires stratégiques. La pandémie a modifié le paysage : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la COVID-19 pourrait causer entre 300 000 et 3,3 millions de décès en Afrique et les effets économiques pourraient être catastrophiques, avec une forte baisse des exportations et une augmentation du chômage et de la pauvreté qui pourrait entraîner la famine, la guerre et la violence.
Malgré tous ces indicateurs négatifs, Luca Jahier, président du CESE, a souligné le fait qu’en mars, la Commission européenne a publié sa nouvelle stratégie pour l’Afrique, qui vise à transformer la région UE-Afrique en un nouveau centre de développement mondial. “Nous sommes à présent dans une ère différente, mais aujourd’hui, plus que jamais, nous devrions nous concentrer sur l’Afrique en tant que priorité essentielle ; ce que nous faisons maintenant aura un impact à l’avenir“, a déclaré M. Jahier.
Vera Songwe, sous-secrétaire générale des Nations unies et secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), a convenu qu’il était nécessaire de renforcer les liens entre les économies africaine et européenne, l’UE étant le principal investisseur et partenaire commercial de l’Afrique. Mme Songwe a également souligné la nécessité de travailler sur deux questions clés : la consolidation des chaînes d’approvisionnement et la dette extérieure. Les pays africains ont besoin de liquidités, mais aussi de temps pour trouver comment assurer le service de leur dette, a-t-elle déclaré, en évoquant la nécessité d’un accord avec les pays africains pour annuler ou reporter le paiement de leur dette extérieure.
L’ambassadeur Ranieri Sabatucci, chef de la délégation de l’UE et représentant spécial de l’Union européenne auprès de l’Union africaine, a insisté sur le besoin de transparence sur cette question : Il ne s’agit pas seulement de reporter le service de la dette, nous devons examiner à nouveau le paiement de la dette dans son ensemble et cela doit se faire de manière transparente, car de nombreux acteurs préféreraient y aller bilatéralement. La question de la dette extérieure a également été mentionnée par Luca Jahier, qui a rappelé que 40% de la dette extérieure africaine est entre les mains de la Chine et a avancé l’idée de convertir la dette extérieure en investissements.
L’autre grand défi mentionné par tous les participants était la consolidation des chaînes d’approvisionnement. Comme l’a dit l’ambassadeur Sabatucci, il est difficile de prévoir l’évolution de la crise sanitaire en Afrique, mais ce n’est pas le cas pour la crise économique : il y aura un problème alimentaire en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement. Stefano Manservisi, ancien directeur général de la Coopération internationale et du développement à la Commission européenne, est d’accord : l’Europe doit restructurer les chaînes d’approvisionnement, mais ce serait une erreur de le faire uniquement en interne ; nous devons en discuter avec les partenaires africains.
Comme l’a souligné Vera Songwe, la solution à la crise alimentaire potentielle en Afrique va au-delà des chaînes d’approvisionnement : Les pays africains doivent travailler sur la manière de stocker leurs produits et d’améliorer le transport, et la technologie est essentielle pour cela.
Dilyana Slavova, présidente de la section spécialisée « Relations extérieures » du CESE, a souligné le rôle important que la société civile peut jouer pour résoudre ce problème : Les organisations de la société civile ont une contribution cruciale à apporter pour assurer l’interconnectivité entre les pays d’Afrique et atteindre le public cible ; elles ont montré leur potentiel en luttant non seulement contre l’épidémie de COVID-19, mais aussi contre la faim.
Mme Slavova a admis que les relations UE-Afrique sont sous tension, mais elle a également exprimé sa ferme conviction que, du fait de la crise, le partenariat se renforcera. Ce point de vue a été partagé par Stefano Manservisi, qui a insisté sur la nécessité de mettre fin à la vieille approche paternaliste envers l’Afrique : Nous ne devons pas cesser de transmettre nos valeurs, mais nous devons comprendre et respecter les autres manières de faire les choses ; nous pouvons faire beaucoup, mais nous devons aussi écouter.
A suivre…